Crispr-Cas9 : du Prix Nobel de Chimie à l’institut du thorax
La Française Emmanuelle Charpentier est co-lauréate du Prix Nobel de Chimie 2020 pour ses travaux sur les « ciseaux génétiques » Crispr-Cas9. De quoi s’agit-il ? Sur quels projets l’institut du thorax travaille-t-il en utilisant cette technique ? A terme, quels sont les bénéfices attendus pour nos patients ?
Le vivant est codé par la molécule d’ADN qui contient les informations nécessaires pour réguler l’ensemble des fonctions cellulaires. Modifier la molécule d’ADN permet entre autres d’influencer ces régulations.
En recherche, cela ouvre des voies d’investigation pour la compréhension de l’organisation du vivant, l’étude de maladies, voire la correction de défauts génétiques dans l’optique de guérir une maladie.
Au milieu des années 2000, un mécanisme de défense contre les infections virales a été décrit dans le monde des bactéries. Les bactéries peuvent garder en mémoire des morceaux de l’information génétique des virus lors d’une première infection, pour les identifier lors des prochaines infections et les détruire en induisant la coupure de l’ADN viral.
Elles empêchent ainsi la réplication du virus et la mort de la bactérie. Le détournement par les chercheurs de ce mécanisme connu sous le nom de CRISPR/Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, en français « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ») est à l’origine du prix Nobel de chimie 2020 décerné aux Professeures Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier le 7 octobre dernier.
Grâce à la manipulation du complexe CRISPR/Cas9, il est possible de réaliser de façon très précise et efficace une coupure dans une région d’intérêt du génome de cellules de mammifère, sans quasiment aucun effet délétère. Ensuite, les chercheurs peuvent détourner ce mécanisme de réparation cellulaire afin de modifier le génome à leur guise.
Cette approche est une véritable révolution dans le monde de la recherche de par sa facilité d’utilisation et sa grande efficacité. De plus l’outil CRISPR/Cas9 est compatible avec des stratégies de thérapie génique ouvrant de nouveaux horizons pour la recherche clinique.
A l’institut du thorax, nous avons commencé à manipuler l’outil CRISPR/Cas9 et intégrer ses évolutions depuis 2014. Cet outil a servi par exemple à modifier la séquence d’un gène codant pour une protéine difficile à étudier, en y ajoutant une étiquette moléculaire afin de faciliter sa détection. Depuis 2012, l’institut du thorax utilise la technique de reprogrammation cellulaire pour, à partir de cellules de patients, générer des cellules souches pluripotentes induites et étudier des maladies génétiques après les avoir différenciées en cellules de cœur (cardiomyocytes) ou de foie (hépatocytes).
L’utilisation de la technologie CRISPR/Cas9 nous permet maintenant de :
- corriger des mutations pour vérifier qu’elles sont bien à l’origine de la maladie,
- intégrer des mutations dans des cellules souches pluripotentes induites issues de donneurs sains pour obtenir un modèle d’étude lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir des cellules de patients,
- vérifier qu’une mutation chez un patient peut induire la même pathologie dans un contexte génétique différent
- retirer des régions du génome plus ou moins grandes pour étudier des séquences régulatrices nouvellement découvertes et vérifier nos hypothèses.
Depuis que nous avons pris en main la technologie CRISPR/Cas9 à l’institut du thorax, pas moins d’une dizaine de projets l’utilisent pour faire avancer la recherche, en voilà quelques exemples :
- Etude du rôle de la Seipine, une protéine exprimée dans le tissu adipeux et impliquée dans les lipodystrophies (défaut de fonctionnement du tissu adipeux)
- Etude de la fonction de nouveaux gènes impliqués dans la régulation du métabolisme du cholestérol dans la cadre du projet CHOPIN
- Identification de nouvelles fonctions de PCSK9 dans les cellules pluripotentes (hiPS), au-delà de son rôle dans le métabolisme du cholestérol
- Identification des mécanismes moléculaires d’arythmies cardiaques d’origine génétique à l’aide de cardiomyocytes différenciés à partir de cellules souches pluripotentes induites humaines (patients et contrôles) pour prévenir la mort subite
- Etudes du rôle de gènes impliqués dans la voie de l’hypoxie et la production de l’érythropoïeteine (EPO)
- Caractérisation du rôle de la protéine Angptl6 qui est impliquée dans la rupture des anévrismes intracrâniens.
Alors que la technologie CRISPR/Cas9 se révèle être un outil précieux pour modifier le génome, son utilisation ne s’arrête pas là. En effet, l’outil peut être utilisé pour induire ou inhiber l’expression d’un gène de façon permanente ou inductible, marquer en fluorescence des régions de l’ADN pour en étudier leur régulation, purifier des régions du génome pour identifier les facteurs de régulation qui y sont accrochés, ou encore modifier l’architecture même du génome. De nouvelles applications utilisant la technologie CRISPR/Cas9 émergent toutes les semaines de différents laboratoires à travers le monde, et d’autres révolutions scientifiques sont à venir.
Notre imagination est maintenant notre seule limite !
Remerciements : Karim Si-Tayeb et Amandine Caillaud, de l’équipe de recherche Dyslipidémies et Lipotoxicité de l’institut du thorax.
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